Jour 31
Ce matin, pour la dernière fois, j’ai franchi le sas d’entrée de cette entreprise japonaise de mode que j’ai intégrée depuis un peu plus d’un mois et demi. En effet, il y a quelques semaines de cela, j’ai pris la décision de démissionner le 25 novembre, soit exactement 48 jours après avoir mis les pieds dans cette entreprise. Cette journée ayant été spéciale, j’ai aujourd’hui beaucoup de choses à vous raconter.
J'ai évidemment commencé cette délicieuse dernière journée de travail par un peu de ménage. Pour mon dernier jour de travail, j’ai décidé de faire la vaisselle, et de laver la cuisine. Je n’allais quand même pas me tuer à la tâche, et aspirer la moquette de tout le troisième étage! En parlant de ménage, ce matin, une personne que je n’avais jamais vue auparavant est venue nous aider à nettoyer le troisième étage de l’entreprise. Il s’agissait d’un Japonais assez grand par rapport à la moyenne, âgé d’au moins 28 ans, et au style passe-partout. J'ai vite compris qu'il s'agissait d'une nouvelle recrue, car une des chefs-d’équipe lui a montré son bureau. Ils n’ont apparemment pas trouvé mieux que de l’installer en bout de table, sur lequel un vieil écran d’ordinateur DELL avait été posé. La chef d’équipe lui a également expliqué que chaque matin, on commençait par passer l’aspirateur, vider les poubelles, nettoyer les toilettes et la cuisine. Quel accueil me direz-vous ! Enfin, on ne lui a pas tendu l’aspirateur trois minutes après son arrivée, comme ils l’ont fait avec moi ! Je me suis tout de suite dit que mes collègues se souviendront de cette journée. Une arrivée et un départ auront eu lieu au cours de la même journée ! Tout cela me parut vraiment surréel !
A 10 heures, tous les employés de l’entreprise se sont rassemblés dans le showroom, pour une réunion générale. Encore une fois, je n’étais pas au courant de cette réunion. La Directrice m’a dit de vérifier mon agenda. Je lui ai expliqué que si elle ne partageait pas son agenda avec moi, je ne pouvais pas recevoir les notifications. Elle m’a alors demandé de lui renvoyer une demande, ce que j’ai aussitôt fait. Vous ne serez pas surpris de savoir qu’en fin de journée, ma deuxième demande n’avait toujours pas été acceptée ! Lors de cette réunion, qui n’a pas duré plus de 40 minutes. Deux prises de parole ont retenu mon intention. Tout d’abord, celle de la nouvelle recrue. Il s’est présenté devant l’assemblée, tout ce qu’il y a de plus normal. Cependant, à la fin de son discours, j’avais une envie folle de me lever, et de lui dire de se sauver tant qu’il en était encore temps ! Bien sûr, encore une fois, je suis resté raisonnable. La deuxième personne à avoir pris la parole est la Responsable des Ressources Humaines elle-même. Sur le coup, je n’étais pas certain de ce qu’elle racontait. Mais on m’a vite informé qu’elle venait d’annoncer publiquement sa démission. Ne croyant pas ce qui m’était dit, j’ai fait répéter ma collègue au moins trois fois ! Celle qui a participé à mon recrutement quittera l’entreprise dans exactement un mois.
Vers 11 heures 30, le PDG de l'entreprise m’a convoqué dans son bureau. Je ne vous ai jamais parlé du PDG jusqu’à aujourd’hui, car je ne le vois que très rarement. Il s’agit d’un vieil homme, menu, aux cheveux gris, longs et frisés. Il n’occupe qu’un rôle représentatif dans cette entreprise. Il donne vraiment l’impression de ne servir à rien ! Il m’a demandé d’aller dans son bureau afin de me transmettre une enveloppe contenant mon salaire du mois en espèces vu que je n'ai toujours pas ouvert de compte bancaire. A ce moment-là, je ne vous cache pas que l’idée de me sauver en courant m’a traversé l’esprit. Je me suis retenu, et me suis dit que j’allais tout de même rester jusqu’à la fin de la journée. Je voulais en effet parler en tête à tête avec la Directrice pour lui annoncer mon intention de quitter l’entreprise.
C’est finalement vers 17 heures que ce petit entretien à huit clos a eu lieu avec la Directrice. Pendant un peu plus d’une heure, nous avons discuté sur mon départ de l’entreprise. La suite va peut-être vous décevoir, puisqu’il n’y a pas eu beaucoup d’actions comme on pourrait s’y attendre dans certains romans policiers. Elle ne m’a pas crié dessus. Je ne lui ai pas dit d’aller se faire voir. On ne s’est pas tapé dessus. Bref, nous avons simplement discuté comme des gens civilisés. Je lui ai dit que je quittais l’entreprise, que mon billet d’avion pour la France était acheté, et que je m’envolerai dans une semaine. Evidemment, elle m’a demandé pourquoi je partais. Je m’étais bien entendu préparé à cette question, et ma réponse n’attendait qu’à être exprimée. Je ne me voyais pas lui expliquer que travailler dans son entreprise avait tout d’un horrible cauchemar. De toute manière, elle ne l’aurait pas compris, et cela n’aurait pas simplifié les choses. Je lui ai dit que j’étais malade, et que rentrais en France pour me faire soigner. Elle m’a apparemment cru, mais a demandé à en reparler demain. C’est ainsi que l’entretien s’est conclus, comme une phrase sans point final. Je n’ai pas réussi à lui dire qu’il n’y aurait pas de demain. De 18 heures à 20 heures, je suis resté devant mon écran d’ordinateur, en attendant le moment et surtout le courage pour me lever de ma chaise, et dire à voix haute « Adios amigos, moi, j’me casse ! ». Que neni ! Inexpressif, je suis resté assis à mon bureau à traduire des textes japonais en anglais. C’est finalement à 20 heures 15, trouvant cette situation des plus ridicules, que je me suis levé de mon bureau, ai pris toutes mes affaires, et ai dit pour la toute dernière fois « otsukaresamadesu ». Ce fût ma dernière journée de travail !